Elle était attendue depuis le siècle dernier, car la première sortie du livre d’Alain Guédé, Monsieur de Saint-George, remonte à 1999. La nouvelle édition a, enfin, rejoint les vitrines et étals des librairies mercredi 26 mars. Il était temps : en plus de deux décennies, Guédé et ses complices de l’association Le Concert de Monsieur de Saint-George, avaient accumulé des centaines de documents sur sa vie, de partitions, d’anecdotes, d’illustrations et de témoignages. Et puis, la première édition commercialisée, sous deux formats, à près de vingt mille exemplaire était épuisée depuis une dizaine d’année et quasi introuvable sur les sites de revente. Les admirateurs de Saint-George en étaient donc réduits à se tourner vers des contrefaçons qui reprenaient des données erronées parues en Suisse en 1991.
Nous avons donc le bonheur de vous présenter le nouveau Monsieur de Saint-George. Admettons-le volontiers, elle fera des déçus : ceux qui se battent pour donner le nom d’une marque de Rhum au chevalier de Saint-George. Comment pouvait-il en être autrement ? Guédé rappelle que leur candidat, un certain Bologne, était un planteur alcoolique, sans cesse criblé de dettes, qui avait tué son voisin dans une bagarre de pochetrons, ce qui lui avait valu une fuite et une condamnation à mort par contumace et à Paris il avait été inquiété pour des faits des proxénétisme. Plus embêtant : ce n’était pas un noble mais un roturier qui, sur le tard, allait s’endetter pour acheter un minuscule titre d’écuyer. Dans une société d’ancien régime où la filiation faisait office d’ascenseur social, comment imaginer que cet individu aurait pu propulser un jeune à la peau noire jusqu’à l’entourage du Roi et de la Reine de France. Même pas en rêve… D’ailleurs, cette bouffonnerie n’est attestée par aucun témoin qui a aimé ou approché Saint-George de son vivant.
A côté de cette invention abracadabrantesque, l’auteur produit une kyrielle de témoignages de gens qui l’ont bien connu et aimé, de riches mécènes pour lesquels il a manié l’archet, de musiciens qui ont joué sous sa baguette, de généalogistes… et même un président des Etats-Unis d’Amérique. Bref le père, de Saint-George fut un des grands du régime. Il semble même qu’il était le descendant du roi Baudoin 1er, premier roi de Jérusalem sous les croisades, ce qui est, quand même, une introduction plus efficace pour jouer du clavecin avec Marie-Antoinette, qu’un ivrogne assassin puant l’alcool et fréquentant les putains. Cette filiation n’enlève évidemment rien aux immenses talents de Saint-George qui lui ont permis de triompher du pire des handicaps pour l’époque :la couleur de peau.
Mais ce qui fait surtout l’intérêt de cette seconde mouture est qu’elle fait découvrir une personnalité d’une tout autre envergure que celle qu’on lui a concédé jusqu’à présent. L’auteur nous montre ainsi que le compositeur et surtout, en l’occurrence, l’escrimeur noir était une star à Londres, saluée comme telle, dans le « Times » et les autres grands quotidiens anglais et qu’il fut surtout un très grand ami et confident du futur roi d’Angleterre George IV. Une amitié telle qu’elle a sans doute contribué à convaincre le Prince régnant, de retarder d’un an l’entrée en guerre de l’Angleterre contre la Révolution française. Saint-George aurait donc été un précurseur du soft power.
C’est un livre utile pour éclairer enfin l’Histoire. Et une arme pour combattre le racisme.